Je suis tombé hier par hasard sur un vieil article de janvier 2014, mais qui n’a pas pris une ride car intemporel, et d’autant plus d’actualité dans le contexte de la récente Loi travail qui nous a été imposée à grands coups de 49.3 par les gradés de la kommandantur élyséenne.
Que nous le voulions ou non, nous ne sommes que de passage dans ce monde, et nous devons réfléchir à ce que nous retiendrons de ce que nous avons fait de notre courte existence le moment venu de « souffler la veilleuse ». Notre routine quotidienne tend à nous le faire oublier, mais notre vie est précieuse, et si vous l’avez perdu de vue ou en doutez encore, souvenez-vous que dans l’immensité de l’univers formé de milliards de galaxies, elles-même composées de milliards de systèmes planétaires similaires au notre, la preuve formelle de l’existence de vie n’a pas encore été apportée…
Or, de cette irremplaçable expérience qu’est la vie et que nos parents nous ont généreusement offerte, à part en concéder une part importante mais incontournable à un sommeil réparateur, la plus grande partie restante consiste à sacrifier et vendre votre inestimable temps de vie à travailler. Si l’on considère les chiffres de l’Insee pour la période 2003 et 2004, la durée annuelle du travail des salariés à temps complet, hors enseignants, s’établit, en moyenne, à 1650 heures. Cela correspond à 35 heures et 52 minutes de travail par semaine pour un salarié qui bénéficie de cinq semaines de congés et de cinq jours fériés non travaillés dans l’année. Moyenne qui devra être revue à la hausse grâce à la Loi travail, du moins pour ceux et celles qui ont un emploi.
En imaginant que vous ayez commencé à travailler à l’âge de 20 ans, et jusqu’à vos 65 ans, vous aurez concédé à votre (vos) employeur 74 250 heures de votre vie étalées sur 45 longues années. Toujours selon l’Insee, en 2013, l’espérance moyenne de vie pour une femme est de 85,0 ans et de 78,7 ans pour un homme, ce qui représente que vous aurez utilisé respectivement 52.94 % et 57.17 % de votre capital vie à travailler. Nous sommes alors loin des 12 % rapportés dans le nouvelObs !
Mais travailler pourquoi au juste si l’on y réfléchit bien ? Pour reprendre la narrative de l’excellent film « Fight Club », nous vivons aujourd’hui dans une société de consumérisme. Depuis notre plus tendre enfance, nous sommes matraqués de publicités, de messages d’endoctrinement ; nous sommes poussés à toujours vouloir plus : de plus jolis vêtements, un meilleur téléphone, une plus grande télévision, une plus belle voiture, une plus vaste maison…
Nous pensons que ces « choses » que nous possédons sont le signe de notre succès. Nous pensons qu’il faut travailler dur pour montrer que nous sommes des employés modèles. Nous nous compliquons la vie avec des métiers multitâches qui ne se terminent jamais et qui nous suivent à la maison « grâce » aux nouvelles technologies. Nous menons des vies complexes pour espérer trouver le bonheur. Et pourtant nous n’avons pas besoin d’être conformistes ni de beaucoup de possessions pour être heureux.
Nous achetons des choses dont nous n’avons pas besoin avec de l’argent que nous n’avons pas pour impressionner des gens que nous n’aimons pas. (…) La pub nous fait courir après des voitures et des fringues, on fait des boulots qu’on déteste pour se payer des merdes qui nous servent à rien !
Éloquent non ? D’autant plus quand on sait qu’entre les tva, les multiples taxes et autres impôts, une énorme partie du salaire durement gagné va dans les poches de l’état, et contribue ainsi au remboursement d’une dette illégale, en plus de payer les trains de vie fastueux des énarques au pouvoir, mais aussi de ceux n’y étant plus, et des multiples coucheries guignolesques présidentielles. Je n’ose même pas aborder le sujet des retraites, auxquelles vous cotisez, mais dont vous-même ne bénéficierez peut être pas le moment venu…
C’est désormais une réalité, ceux qui persisteront dans la voie consumériste devront envisager de travailler plus pour gagner moins, et ce parfois dans des conditions dégradantes, alors que dans le passé, le rapport au travail dans les sociétés primitives était très différent du nôtre. C’est une évidence, à moins que vous ne soyez déjà financièrement aisé, vous ne trouverez ni bonheur ni liberté dans la société néo-libérale qui attend de vous que vous sacrifiez votre vie pour qu’elle puisse continuer à engranger des bénéfices.
A défaut de ne pouvoir quitter votre travail et explorer le monde comme certains l’on fait, prenez du recul et posez-vous les bonnes questions. Il ne s’agit pas seulement ici de s’investir à faire un geste individuel de décroissance pour sauver la planète, mais bien de redéfinir vos priorités afin de sauver ce qui reste de votre courte existence en ce bas monde. Et ne vous préoccupez pas des railleries habituelles que vous risquez de rencontrer, du genre « Tu veux travailler moins pour glander plus », et qui ne sont que le résultat d’esprits trop endoctrinés par le système pour se rendre compte qu’ils en sont eux aussi les victimes.
Comme vous allez le constater dans les témoignages relayés dans un article de rue89, certains ont franchi le pas et s’en félicitent. Et vous, vous commencez quand ?
Salariés, ils ont choisi de travailler moins pour « profiter de la vie »
Ils ont choisi de travailler moins… quitte à gagner moins. Pour s’occuper de leurs enfants, planter des fleurs, s’investir dans une association ou, comme Frédéric et Laure, profiter de la vie.
Ce jeune couple, qui avait détaillé son porte-monnaie sur Rue89, expliquait avoir fait le « choix de vie » de travailler moins pour avoir plus de temps. Ils répètent d’ailleurs à l’envie le mot « temps ».
Laure est salariée à 80% dans la fonction publique et Frédéric, au chômage, ne cherche pas systématiquement des contrats mais s’occupe des enfants, retape la maison et jardine. Ils vivent « modestement » avec 2 320 euros par mois, sans chercher à « gagner plus ».
En France, les salariés bossent en moyenne 39 heures par semaine (Insee, 2012). Depuis 1950, la baisse de la durée du travail, observée dans tous les pays développés, s’accompagne de la hausse du travail à temps partiel (18,7% en France, en 2011). Qu’il soit voulu ou subi : un tiers des salariés à temps partiel déclarent n’avoir pas trouvé mieux.
Ceux qui ont répondu à l’appel à témoins de Rue89 ont un jour décidé de diminuer le nombre d’heures de travail pour faire autre chose. La décision se prend souvent à deux car, comme dans le cas de Sylvain, elle a des conséquences sur le budget d’un couple. Est-elle pour autant tenable à plus long terme ? Témoignages.
1. Charlie, 28 ans : « Les fins de mois sont délicates »
A 20 ans, je suis parti en Angleterre où j’ai eu un coup de foudre pour une Polonaise. On a travaillé dans des palaces, de 21 à 25 ans – j’étais chef de rang et sommelier. On gagnait bien notre vie : on était logés et nourris, on voyageait beaucoup.
Puis on est allés en Corse, pendant deux ans. On avait un peu d’économies et on a eu l’occasion d’acheter une ferme – une très belle affaire – à côté de Périgueux, d’où je suis originaire.
J’ai toujours été à fond dans la nature ; mes grands-parents étaient agriculteurs. Alors on a tout annulé et on s’est installés en Dordogne. On a rénové la ferme avec mon père et des copains pendant plus d’un an, avant d’emménager en février 2013.
Je ne touche plus le chômage depuis mars. Je bosse au “black” pour 300 euros, ma conjointe est à mi-temps dans le bar de mon frère pour 800 euros. Je taille les haies des voisins ou je trouve des petits boulots par copinage. Ma compagne est très écolo et végétarienne. On a des légumes, une dizaine de poules et, avec des copains maraîchers, on se débrouille pour faire des échanges… On cherche à être auto-suffisants.
Avant, on ne regardait pas mais aujourd’hui, on fait parfois les fonds de tiroir : les fins de mois sont délicates. Au supermarché, on regarde toujours les prix au kilo.
Si nous avions conservé notre ancien mode de vie, notre fille aurait été nourrie avec Blédina et par une nounou… Nos légumes et fruits sont ultra-bio, elle est belle et jamais malade.
2. Xavier, 41 ans : « Je peux profiter de la vie »
Au départ, c’était un concours de circonstances. Il y a deux ans, j’ai quitté un CDI à temps complet pour un nouveau travail, toujours dans l’informatique, où les salariés sont aux quatre cinquièmes. On pouvait choisir quelle journée on ne voulait pas travailler.
Je perdais environ 5 000 euros par an de salaire, sans compter l’essence – au lieu de me rendre au boulot en RER, j’utilisais ma voiture.
Au début c’était bizarre mais ça m’a donné un grand bol d’air. J’étais usé par mes journées de douze heures. Avec ces quatre cinquièmes, j’avais un grand week-end toutes les semaines.
Mais au bout de sept mois, ils ne m’ont pas gardé. J’ai retrouvé un travail dans la finance, comme administrateur réseau, et j’ai tout de suite proposé de travailler aux quatre cinquièmes. Ils ont accepté. J’ai encore gagné en qualité de vie : je suis deux jours en télétravail, deux jours dans l’entreprise.
Financièrement, je gagne un peu moins qu’avant mais ce n’est pas grave. J’ai un petit prêt familial qui se termine bientôt et mon épouse, plus jeune que moi, travaille à temps complet. On s’y retrouve.
Pendant ma journée de libre, je fais du jardinage, du bricolage, je m’occupe de mon association… J’ai le temps de penser à ce que j’ai à faire. Le temps partiel, je ne peux pas m’en passer. Je pensais que j’allais m’ennuyer mais en fait, je peux m’occuper un peu de moi et profiter de la vie.
3. Sylvain Saïd, 47 ans : « Je voulais faire le vide »
Aide-soignant à temps complet depuis près de vingt ans, je travaille à mi-temps depuis juin dernier. C’est en voyant passer une offre de poste de nuit dans une autre unité que je me suis décidé.
J’ai eu envie de me consacrer davantage à ma vie privée, à des choses essentielles de la vie. Je voulais faire le vide de ce boulot qui est assez difficile – les conditions de travail ne s’étant pas améliorées ces dernières années.
Depuis juin, je travaille sept nuits par mois, de 20h15 à 6h15, et parfois quelques nuits supplémentaires pour remplacer des collègues malades.
Mon salaire a été divisé par deux : je gagnais 1 500 euros net, je touche aujourd’hui un peu plus de 800 euros. Forcément, je fais un peu plus attention. Je paie les charges, le crédit de ma maison mais je vis quand même “aux crochets” de ma compagne, qui est prof et qui élève des vaches sur l’Aubrac.
Ma perte de revenus, si je n’avais pas eu en septembre de bugs de prélèvements qui ont entraîné des rejets bancaires et des frais exorbitants, est largement compensée par une vie emplie de joies du quotidien. Je fais de la musique, je compose, je m’occupe des vaches de ma compagne, j’écris…
4. Perrine, 28 ans : « Commencer une formation en menuiserie »
J’ai choisi il y a un an de travailler moins (et de gagner moins) pour reprendre une formation en… menuiserie. J’ai travaillé pendant environ deux ans à temps plein dans une entreprise qui donne des cours du soir en information-communication.
Le travail de bureau me pesait énormément et je ressentais le besoin de faire autre chose, de plus créatif, de plus manuel, plus technique… et surtout, plus utile ! J’avais l’impression qu’il me manquait quelque chose.
Devant un reportage sur une fille menuisière, ça a été le déclic. J’ai hésité pendant des mois et mon compagnon m’a convaincue : en septembre 2012, j’ai commencé une formation en menuiserie.
Je ne pouvais pas me permettre financièrement d’abandonner mon boulot : je suis donc passée aux quatre cinquièmes – je n’ai pas pris de gros risques. Un jour par semaine, je suis en stage non rémunéré chez un menuisier. J’ai aussi deux soirées de cours.
J’ai trouvé un meilleur équilibre. Je ne considère pas cette activité comme du travail : je le fais avec plus de plaisir que le bureau. Ça m’a donné un bol d’air. Au début, c’était une intuition, c’est devenu une passion.
La différence de salaire entre un temps plein et les quatre cinquièmes n’est pas énorme. J’étais à 1 600-1 700 euros net, je suis passée à 1 400 euros. Je fais un peu plus attention : moins de restos, moins de sorties…
Et puis, en décembre dernier, j’ai perdu mon emploi. Paradoxalement ça a été un soulagement : enfin du temps pour faire d’autres choses, plus intéressantes ! Même si c’est difficile pour moi, le chômage. J’aimerais maintenant trouver une activité épanouissante qui pourrait me rapporter un revenu suffisant pour vivre.
5. Marie, 33 ans : « Le temps libre, une richesse quand on en profite »
Je suis enseignante en maternelle. Quand j’ai eu mon premier garçon, fin 2010, j’ai repris à mi-temps pour une question d’organisation : je ne voulais pas qu’il rentre trop tôt en crèche. A la rentrée 2011, je suis passée à 75%, ce qui me permettait de mieux m’organiser avec ma classe.
Je m’y retrouve bien. Avec mon mari et mes enfants, on a beaucoup plus de temps pour passer des moments ensemble. Les parents n’ont pas toujours le choix mais en tant qu’enseignante, je vois des enfants qui enchaînent garderie et école et qui sont épuisés. Je ne voulais pas ça pour les miens.
Je ne dis pas que je ne reprendrai pas un jour à temps plein mais pour l’instant, c’est un bon compromis.
Mon mari est indépendant mais il cherche un emploi de salarié, pas forcément à temps plein. A presque 50 ans, il a une expérience de vie très intense – il avait deux activités. Il dit qu’il n’était pas plus heureux avec plus d’argent. On se rend compte que passer du temps avec nos enfants, c’est bien pour eux et pour nous et on est aussi plus dans une optique de développement personnel. On gagne en qualité de vie.
D’un point de vue financier, la différence entre un mi-temps et un 75% n’est pas énorme : je touche 1 350 euros, contre 1 750 euros à temps plein. On a fait des concessions pour réduire notre train de vie : on est moins partis en vacances, on a réduit les loisirs… pour au final passer plus de temps ensemble.
Comme j’ai un enfant en bas âge, je reste souvent à la maison, le vendredi : je fais du ménage, je bouquine… Ça me permet de m’avancer pour me libérer complètement le week-end. Je pense que le temps libre, c’est une richesse qui s’apprécie quand on en profite. Pas pour faire des choses en plus, mais plutôt pour ne pas courir tout le temps.