Il avait partagé un message Facebook appelant à rejoindre le blocage d’une raffinerie… et s’est retrouvé condamné à six mois de prison ferme pour organisation d’une manifestation non déclarée. Petit portrait d’Hedi, Gilet jaune de la première heure qui filmait à tours de bras les ronds-points de Narbonne, et qui est à ce jour le premier Gilet jaune condamné à de la prison ferme, pour avoir partagé un message Facebook.
Six mois de prison ferme… pour avoir partagé un message Facebook. A Narbonne, un jeune homme de 28 ans, Hedi, manutentionnaire enchaînant les CDD et Gilet jaune de la première heure, a été condamné ce 8 janvier à six mois de prison ferme -mais laissé en liberté à l’issue de l’audience. Le jeune homme a été reconnu coupable d’organisation d’une manifestation non déclarée et d’entrave à la circulation.
En cause, rapporte L’Indépendant
, qui a suivi l’affaire : le blocage d’une raffinerie, dans la nuit du jeudi 3 janvier, à Port-la-Nouvelle, à quelques kilomètres de Narbonne. « Le 3 au matin, il est arrêté par les gendarmes sur place, alors qu’il est encore en train de filmer », raconte la journaliste Laure Memet. Et condamné, donc, quelques jours plus tard. « Le fait qu’il soit condamné est vraiment dû à sa visibilité sur les réseaux sociaux. Il attirait l’attention », avance l’avocate d’Hedi, Me Elodie Couturier.
Tout est parti d’un message Facebook, diffusé le 2 janvier sur son profil, message aujourd’hui effacé, mais que l’on peut toujours lire dans un autre article de L’indépendant : « Tous les GJ du département sont demandés en renfort ! Il faut frapper fort avant l’Acte VIII. Nous voulons tenir face aux CRS et GM alors venez équiper (masque, lunette…) [sic]« , écrit le Gilet jaune pour promouvoir le blocage de la raffinerie.
« IL FILMAIT BEAUCOUP, ET PARTAGEAIT DES INFORMATIONS »
Car le Gilet jaune n’était pas n’importe qui. Hedi filmait souvent. « Il était présent la nuit sur les rond-points, il restait tard quand il n’y avait pas grand monde, il relayait les informations sur les blocages », nous raconte Laure Memet, qui a suivi ce qu’elle voit comme un procès « atypique
« . Sur sa page Facebook, il partage à tour de bras articles en tous genres (CNews, Sputnik, Fdesouche, Le Figaro, Libération…) et vidéos (filmées par d’autre Gilets jaunes). Et, bien sûr, il poste ses propres vidéos. Ses dernières sont celles du blocage de la raffinerie. On l’y voit, dans l’une, insulter trois hommes (qui pourraient travailler dans la raffinerie, d’après les dires d’Hedi), mais aussi, dans une autre, se filmer lui et les autres Gilets jaunes présents (le son y est très mauvais).
DERNIÈRE VIDÉO POSTÉE PAR HEDI
Facebook – 3 janvier 2019
« Comme il filmait beaucoup, et que ses vidéos étaient très partagées, il n’hésitait pas à dire aux forces de l’ordre «Je suis de la presse, vous pouvez pas m’arrêter» », raconte la journaliste de L’Indépendant. « Au sein des Gilets jaunes, il s’était donné la mission de relayer les infos, de faire des compte-rendus de ce qui se passait, et au fur et à mesure, il s’est pris pour un journaliste ». « Ce qui a certainement placé le curseur sur lui, ajoute Me Couturier, c’est qu’il avait un ton assez provocateur dans ses vidéos. Il se voulait informatif, mais avec un ton un peu sensationnel ». Un extrait de sa vidéo du 15 décembre, qui montre le deuxième incendie du péage de Croix-Sud à Narbonne, a été repris par plusieurs médias, nous affirme Laure Memet – nous avons retrouvé ce qui semble être un extrait de cette vidéo d’Hedi diffusé par RT France. On y entend le Gilet jaune demander à ce qu’on laisse passer les pompiers : « Personne les caillasse ! » Il jouit visiblement d’une bonne popularité auprès des autres Gilets jaunes. Les groupes Facebook de la région ont manifesté un élan de solidarité après son arrestation.
APPEL À MANIFESTER DEVANT LA GENDARMERIE POUR HEDI
Page Facebook des Gilets jaunes Narbonne et alentours – 11 janvier 2019
« POURQUOI CONDAMNER L’UN PLUTÔT QUE L’AUTRE »
« Il est le premier arrêté ici pour organisation d’une manifestation,explique la journaliste de L’Indépendant. Il n’a pas été poursuivi pour des dégradations, ou des comportements violents ». Dans ce contexte, six mois de prison ferme pour un jeune homme sans antécédent judiciaire (pas de casier judiciaire, et « il n’était pas connu des services de police, comme on dit », dit son avocate), ne semblent-ils pas excessifs ? « J’avais la crainte d’une peine-exemple », avoue son avocate, qui craignait pire – le parquet avait requis dix-huit mois ferme, le maintien en détention de Hedi n’a pas été ordonné à l’issue de l’audience, et il pourra demander un aménagement de peine. « Mais je pense que les magistrats ont évité de rentrer dans ce piège là. Cela étant, c’est sûr que ça peut servir à tenter de calmer les autres Gilets jaunes. La question c’est : pourquoi condamner un individu, en l’occurrence mon client, plutôt qu’un autre ? » Car bien d’autres Gilets jaunes pourrait être poursuivis pour des chefs d’entrave à la circulation ou organisation de manifestation non déclarée, ces deux faits étant dans l’ADN du mouvement. D’autant que si Hedi ne nie pas avoir partagé le message de rassemblement, il n’en est pas l’auteur, rappelle l’avocate. Le Gilet jaune avait en effet partagé un appel déjà rédigé par des Gilets jaunes de Port-la-Nouvelle.
En France, cependant, Hedi n’est pas le premier à être poursuivi pour organisation d’une manifestation non déclarée. En décembre dernier, deux organisateurs d’une marche pour le climat à Nancy ont été arrêtés pour avoir maintenu la manifestation malgré l’interdiction de la préfecture. Une enquête préliminaire a été ouverte, et les deux militants encourent une peine de six mois de prison, selon le site 20 Minutes
. Sans oublier le très médiatique Eric Drouet, qui attend de comparaître le 15 février prochain pour « organisation d’une manifestation non déclarée ». Il a été arrêté le 2 janvier après s’être rendu sur la place de la Concorde, à Paris.