Et le ministre délégué aux Transports est… personne. La première mouture du gouvernement d’Elisabeth Borne a laissé sur le bord de la route plusieurs portefeuilles, comme le Logement, le Tourisme ou la Ville. Il n’y aura donc pas de successeur à Jean-Baptiste Djebbari, parti sous d’autres cieux. Le choix de la Première ministre fraîchement nommée – pourtant elle-même ex-ministre déléguée aux Transports entre 2017 et 2019 – peut paraître surprenant tant le dossier est brûlant pour l’État français qui ne cesse de mettre en avant sa politique de transition écologique et énergétique. Une partie des enjeux sera peut-être dévolue au nouveau ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, qui devra remplacer précocement Amélie de Montchalin, battue aux législatives. Seul l’avenir le dira.
Les transports, ennemi nº1 du climat
Si l’État français, et les derniers gouvernements depuis la COP21 de Paris en 2015, s’est lancé dans la transition écologique, la gouvernance de certains secteurs semble manquer de cohérence. Le secteur des transports est probablement le meilleur exemple, alors que sa mue est essentielle dans le combat contre le réchauffement climatique. Les chiffres sont là pour convaincre les derniers sceptiques : en 2019, les transports étaient responsables de l’émission de 135,9 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES), soit 31% des émissions totales de l’activité humaine en France, loin devant l’agriculture (19%), le résidentiel/tertiaire (18%) ou l’industrie (18%).
Pire, sur ces 135,9 millions de tonnes de GES, 127,7 millions étaient dus à la route. Et il ne s’agit pas seulement du seul CO2 (dioxyde de carbone), mais aussi du méthane (CH4 et du protoxyde d’azote (N2H). Ce dernier – peu connu du grand public – étant même 25 fois puissant que le méthane en termes de réchauffement, et 300 fois plus que le CO2. La décarbonation des transports, et de la route, est donc devenue un enjeu majeur. Voire vital.
Besoin d’une politique ambitieuse
Pour piloter la transition écologique, la France va donc devoir faire pour la route les efforts qu’elle a déjà fait – et qu’elle continue de faire – pour le rail. Car le besoin de cohérence est aujourd’hui évident, les rôles de chaque décisionnaire devant être bien définis pour le secteur routier. En termes de financement, les choses sont claires pour le train, pris en charge par les régions pour la logistique, et par l’État quand il s’agit de renflouer les caisses de la SNCF comme cela a été le cas en octobre 2020 lors du plan France Relance (4,7 milliards d’euros, dont 1,8 milliard pour la recapitalisation de la SNCF). Grandes agglomérations et métropoles sont quant à elles responsables des transports en commun (bus, métro, tramway). Mais la route, elle, est orpheline d’un chef d’orchestre.
Auteur du livre intitulé Transports : les oubliés de la République (éd. Eyrolles, 2022), André Broto pointe en effet du doigt le manque de gouvernance globale du secteur des transports : « L’introuvable gouvernance de la mobilité routière produit de l’inefficacité écologique et sociale. Une solution consisterait à partir du terrain. Les appels à projets lancés par le ministère des Transports peuvent servir de rampe de lancement à une politique ambitieuse de mobilité décarbonée à condition de cibler explicitement les déplacements longs issus des périphéries lointaines. » La mission semble d’autant plus compliquée que le ministère des Transports a, pour le moment au moins, disparu.
L’intermodalité, le défi à relever
Sur le terrain, réussir la décarbonation des transports ne passera pas seulement par dire au revoir aux moteurs thermiques, essence ou diesel. Relever ce défi nécessitera aussi une révolution des usages. Certains projets – déjà concrétisés ou en cours d’expérimentation – vont dans le bon sens, mais devront être généralisés sur l’ensemble du territoire pour avoir un impact significatif. Il s’agit par exemple de voies dédiées aux transports en commun (bus express) sur les autoroutes comme c’est le cas en région Occitanie. Il s’agit aussi de généraliser massivement les bornes de recharges à très haut débit (150Kw) pour les véhicules électriques, qui sont encore trop peu nombreuses pour accompagner la hausse grandissante des ventes de véhicules 100% électriques en France. Il s’agit enfin des plateformes multimodales, à la rencontre de la route, du rail et des transports en commun. Ce type d’infrastructure, comme à Longvilliers sur l’autoroute A10, permet à un conducteur de mixer ses usages de transports, entre sa voiture et tout type de transport collectif. Les bénéfices sont nombreux : lutte contre l’autosolisme, contre la pollution et contre la congestion autoroutière.
L’automobiliste ne franchira pas forcément de lui-même le pas pour changer son mix de transports. Il faut l’inciter à le faire en lui proposant les infrastructures adéquates, et en lui montrant l’intérêt qu’il en tirera, en gain de temps et de stress par exemple. Selon André Broto, « l’une des clés de la décarbonation de la mobilité routière consiste à 1) aller chercher les automobilistes là où ils sont, c’est-à-dire sur les grands axes routiers et 2) à accroître significativement l’intermodalité ». Pour réussir ce déploiement à l’échelle du pays, le gouvernement français devra faire des choix, et planifier. Un plan quinquennal de programmation des investissements permettrait par exemple de fixer le cap, en termes de projets, de financements et de co-financements pour les nouveaux équipements et pour la rénovation du réseau routier français, les nationales notamment se détériorant année après année. Cela permettrait surtout à tous les acteurs concernés – État, régions, métropoles, entreprises privées – d’accorder leurs violons et d’avancer avec cohérence.
Dans une étude intitulée Infrastructures de transport : vers le futur et le durable, l’Institut Montaigne pointe lui aussi du doigt les limites du modèle existant des transports – tous secteurs confondus – et son manque de cohérence : « Pour parvenir à faire évoluer les comportements de mobilité, ces politiques doivent articuler de façon cohérente toutes les dimensions de l’action publique : gouvernance, fiscalité, tarification, investissements, régulation… Leur mise en œuvre nécessite une action coordonnée et volontariste de tous les acteurs de la mobilité (État, régions, autorités organisatrices de la mobilité, etc.) sur la base d’une stratégie nationale claire, cohérente et pérenne. » L’Institut Montaigne propose aussi des pistes à explorer : parmi ses 12 recommandations pour atteindre l’objectif d’un secteur des transports responsable (sur le plan environnemental comme sociétal), la moitié concerne la route. Sans surprise.
« Pour atteindre les objectifs fixés par la Commission européenne (réduire en 2030 les émissions globales de GES de 55% par rapport à 1990), il faut réduire les émissions des transports de 60% dans les 10 ans qui viennent, conclut André Broto. La décarbonation de la route, avec 95% des émissions du secteur, doit être au cœur de toutes les attentions, avec deux objectifs complémentaires : répondre aux besoins d’équité en matière d’accès aux emplois et aménités des grandes villes, et faciliter le déploiement des zones à faibles émissions. En d’autres termes, décarbonation et transports du quotidien doivent aller de pair. » L’équipe gouvernementale d’Elisabeth Borne aura la lourde tâche de faire correspondre promesses et réalité. Avec, espérons-le, la nomination d’un(e) ministre délégué(e) aux Transports qui devra garantir la mise en place d’une gouvernance efficace en faveur de la mobilité routière.