C’est un livre qui ouvre les yeux sur un phénomène mal connu : l’ultra-transformation, qui consiste à fractionner des ingrédients pour les recombiner et en faire des produits vendus dans le commerce. Ces produits ressemblent à des aliments, ont le goût des aliments, mais n’en sont pas. Un assemblage d’ingrédients, même à bonne réputation comme les fibres, les oméga-3, les vitamines, peut avoir des effets négatifs qu’un aliment non dénaturé n’a pas. Voilà pourquoi l’obésité, le diabète et les maladies chroniques augmentent, explique Anthony Fardet dans “Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons Vrai.” Voilà pourquoi les conseils nutritionnels, en se focalisant sur les graisses ou le sucre ou sur des groupes d’aliments font en réalité le jeu de ces faux aliments et sont impuissants à enrayer les maladies chroniques. Entretien avec un chercheur qui dynamite la nutrition.

Au cœur de votre livre, il y a cette notion nouvelle qu’un aliment ce n’est pas un assemblage d’ingrédients.

Anthony Fardet : Depuis les débuts de la recherche en nutrition il y a un peu plus de 150 ans, les scientifiques ont eu tendance à ne considérer les aliments que comme une somme de nutriments et/ou de calories, ce qui au final les rendait relativement interchangeables. Or il n’en est rien : l’aliment est plus qu’une somme de nutriments. C’est aussi une matrice qui influence la satiété et la vitesse de libération des nutriments dans le tube digestif, deux paramètres essentiels dans le contrôle du poids et de l’équilibre métabolique.

Donc deux aliments qui ont les mêmes constituants ne se comportent pas de la même manière une fois avalés ?

Exactement. Deux aliments de composition nutritionnelle et calorique strictement identique mais avec des matrices différentes (forme, épaisseur, densité…) n’ont pas le même effet sur la santé humaine. Bref, le potentiel « santé » d’un aliment c’est la somme de ses effets « matrice » (aspect qualitatif) et « composition » (aspect quantitatif). C’est ce que j’appelle la vision « holistique » (ou globale) de l’aliment.

Aujourd’hui, ce qu’on trouve dans les supermarchés, c’est surtout des aliments « reconstitués », ce que vous appelez « ultra-transformés »

Oui. Ces produits ultra-transformés raffinés-fractionnés-recombinés sont plus le fruit d’une vision « réductionniste » de l’aliment ne le considérant que comme une somme de nutriment. En effet si l’aliment n’est qu’une somme de nutriments alors pourquoi ne pas le fractionner (« cracking ») en de multiples ingrédients que l’on peut recombiner à foison dans des associations infinies. Mais c’est grandement oublier le rôle de la synergie d’action des nutriments au sein des aliments naturels, qui est en partie détruite dans ces aliments « reconstitués ». Et puis ces aliments recombinés à partir d’ingrédients produits mondialement en très grandes quantités sont très rentables, mais très nocifs pour la santé s’ils sont consommés en trop grande quantité.

Quels sont les effets d’une consommation régulière de ces faux aliments ?

Les premiers effets sont une augmentation significative des prévalences de surpoids, obésité et diabète de type 2, notamment chez les plus jeunes. Ensuite ces dérégulations métaboliques augmentent le risque des autres maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires et certains cancers digestifs. Au final donc, on constate très clairement que ces faux aliments sont indirectement la première cause de décès dans les sociétés occidentales, et notamment en milieu urbain ; ceci loin devant l’alcool et le tabac.

Comment en est-on arrivé là ?

Comme je l’ai dit, à la base de cette situation catastrophique en termes de santé publique, il y a l’hégémonie de la pensée réductionniste de l’alimentation, systématisée notamment par Descartes au XVIIème siècle. Mes travaux de recherche m’ont ensuite amené à faire le lien entre réductionnisme nutritionnel, aliments ultra-transformés fractionnés-recombinés, augmentation des maladies chroniques et diminution de l’espérance de vie en bonne santé. Cette équation philosophico-alimentaire n’avait jamais été pointée du doigt auparavant, et pourtant elle est essentielle à comprendre si on veut arriver à faire changer les « choses » durablement.

Que faut-il penser des recommandations officielles qui nous disent de manger moins de gras, de sucre, de sel ?

Elles peuvent porter une certaine valeur en soi, mais qui n’est que partielle, car elles sont basées sur une approche réductionniste de l’alimentation ne considérant les aliments que comme des sommes de nutriments et calories. Pour être efficaces, les recommandations des pouvoir publics devraient se baser sur une approche holistique de l’alimentation, à savoir mettre en avant le degré de transformation des aliments (le seul à faire sens du point de vue santé et nutritionnel), l’effet « matrice » cité plus haut, l’impact sur l’environnement et le bien-être animal ; ce qui n’est absolument pas le cas : on continue à raisonner par nutriment et groupes d’aliments alors que la science montre clairement que ce ne sont pas les nutriments qu’il faut mettre en cause mais les « véhicules » de ces nutriments et leur degré de transformation.

Regardez :

À Lire : Europe 1 – Quel est l’impact des aliments ultra-transformés sur notre santé ?