L’escroc le plus riche de France a gagné 2 millions d’euros par heure cette année

Il s’agit d’un bandit qui avance masqué. En faisant gonfler sa fortune de 58,92% en l’espace d’un an seulement, l’homme le plus riche de France dispose désormais d’un patrimoine net professionnel de 48,2 milliards d’euros. Bernard Arnault, propriétaire du groupe de luxe LVMH, est à la tête d’un capital équivalent à près de 3,5 millions d’années de SMIC net à temps plein. Jamais les plus riches n’ont été aussi riches, dans un système économique où près de 10 millions de Français vivent, officiellement, sous le seuil de pauvreté.

L’ « enquête sur les grandes familles françaises d’aujourd’hui » est annoncée en Une du dernier numéro du magazine L’Express, sorti ce mercredi. Nous y apprenons que Bernard Arnault redevient l’homme le plus riche de France en gagnant 17,87 milliards d’euros en seulement un an, pour atteindre un capital de 48,2 milliards d’euros net au 26 juin 2017. L’article, qui se garde bien de s’épancher sur le sujet de la première fortune privée de l’hexagone, est dangereusement complaisant avec les personnalités françaises occupant le haut du classement établi par Forbes en ce début d’été. Les lecteurs attentifs auront noté que la quatrième page de L’Express, celle qui fait face au sommaire de l’hebdomadaire, est réservée pour vanter les mérites d’ « Horizon », « le nouveau bagage » de Louis Vuitton, premières initiales du groupe de luxe LVMH. Bernard Arnault est l’homme le plus influent de France, et il a – comme ses congénères – usé de méthodes de voyou pour arracher et conserver sa domination sur le capitalisme français.

Une « dynastie » parmi d’autres

« Les Arnault, Dassault ou Pinault comptent toujours parmi les plus grandes fortunes du pays. Mais quelques tycoons venus des nouvelles technologies bousculent l’ordre établi » se régale Béatrice Mathieu, l’auteure de l’ « enquête » du magazine L’Express sur le grand capital. Nous pouvons y lire que « longtemps décrié, accusé de nourrir de  »belles endormies », le capitalisme familial a désormais la cote ». Il en est ainsi du groupe LVMH, dominé par Bernard Arnault, dont la fille Delphine est directrice générale adjointe de Louis Vuitton, en plus d’être une intime de… Brigitte Macron, qu’elle a « relookée » l’automne dernier. Mais de cette amitié relevant d’une forme de consanguinité à la tête de l’État et du capitalisme français, L’Express n’en souffle mot.

« S’il y a bien un domaine dont la France n’a pas à rougir, c’est le dynamisme entrepreneurial de ses dynasties » lance, par contre, l’hebdomadaire à ses lecteurs, sommés de se réjouir. « Au sommet, les Pinault, Arnault, Bolloré, Dassault, Mulliez, Bouygues, Wertheimer, Cayard…, des lignées qui font presque autant partie du décor que la tour Eiffel et le château de Chambord. Des familles qui trustent aussi les premières places des classements des plus gros patrimoines du pays » ose l’Express, qui poursuit : « En dix-huit mois, la richesse des cinq plus grosses fortunes de France (Bernard Arnault, Liliane Bettencourt, Serge Dassault, François Pinault et Patrick Drahi [l’un des fameux « tycoons » – « magnats » – des nouvelles technologies]) s’est accrue de 47 milliards d’euros, une progression d’un peu plus de 50%, d’après le dernier classement de Forbes. Des ultrariches qui pèsent à eux cinq près de 140 milliards d’euros, soit l’équivalent des budgets de la Défense, de l’Éducation, de la Justice et de la Recherche réunis… »

Mais comment ces « ultrariches » ont-ils fait pour atteindre une fortune aussi gigantesque, et en parvenant même à l’augmenter de moitié en un an et demi ? La bonne santé financière des groupes capitalistes dont ils détiennent, au moins, la majorité relative, n’est qu’une traduction des immenses gains de productivité obtenus à la sueur du front des travailleurs de ces multinationales. Ces derniers sont les grands absents de l’ « enquête » de L’Express, qui ne contient jamais les mots « salariés », « employés » ou même dans la novlangue libérale, « collaborateurs ». Ce sont pourtant eux qui œuvrent à la richesse des nantis, eux les petites mains du système économiques qui, additionnées par milliers, créent la valeur ajoutée dont profite grassement la classe capitaliste.

La grande bourgeoisie, une classe hors-la-loi

Les élites économiques, composées des milliardaires et multi-millionnaires, forment socialement la grande bourgeoisie, une classe qui se définit par la propriété des grands moyens de production et d’échange. Par son capital, qui se décline en terres, immeubles, machines, outils, brevets, cette classe sociale dirige le capitalisme, à l’échelle de la France comme du monde. Notre système économique est tout entier articulé pour répondre aux appétits, sans cesse étendus, de la classe capitaliste. Elle décide de ce qui est produit, de la façon dont elle produit, et en retire l’ensemble des bénéfices – ce n’est qu’après coup qu’elle accorde aux employés un maigre revenu, juste assez pour répondre aux besoins sociaux des salariés, qui recouvrent leur force de travail pour retourner au turbin le lendemain.

La haute bourgeoisie est la classe dominante au regard des infrastructures économiques de notre société, tandis que les superstructures politiques et sociales sont au service de cet « ordre établi » – qui n’est certainement pas remis en cause par les « nouveaux riches » des technologies de pointe, n’en déplaise à L’Express. L’État français ne fait qu’encadrer le régime salarial d’exploitation capitaliste, notamment par des lois et accords de branche arrachés de haute lutte par les travailleurs du siècle passé, précisément ce qu’entend remettre en question le gouvernement Macron-Philippe par ses ordonnances sur le droit du travail qui ne sont autres que la loi du MEDEF, première organisation patronale française. Entre les travailleurs et les grands patrons, tout n’est question que de rapport de forces, et c’est parce que ce dernier évolue depuis cinquante ans dans le sens exclusif des intérêts de la bourgeoisie que toutes les dernières réformes ne font qu’acter cette nouvelle donne en transmettant un pouvoir toujours plus conséquent à la classe des employeurs.

Contrairement aux idées reçues, ce n’est donc pas le patron qui crée de l’emploi et de la richesse, mais les employés qui créent la fortune des propriétaires de capitaux. Ces derniers ne font qu’exploiter un travail passé, « coagulé » dans les moyens de production et d’échange, et un travail actuel en imposant aux salariés les efforts qu’ils doivent accomplir dans un savoureux « esprit d’entreprise ». Mais si la loi va dans le sens du capital, cela ne suffit pas à satisfaire le patronat qui s’affranchit du cadre légal pour s’enrichir toujours plus et toujours plus vite. Il en est ainsi des employeurs qui font travailler au noir, soit sans contrat de travail, soit en ne déclarant pas les heures supplémentaires des travailleurs pour les exonérer de toutes cotisations sociales, qui forment le salaire socialisé permettant aux vieux, aux malades, aux privés d’emploi de percevoir une pension parce qu’ils ne peuvent, justement, pas ou plus travailler.

Loin d’être une exception, passer outre la loi est la norme pour la classe capitaliste française qui n’a de cesse de se lamenter sur les « charges » trop lourdes, sur les astreintes à des conditions de travail conformes aux règles d’hygiène et de sécurité, sur les impôts qui taxeraient « leur » valeur ajoutée. L’optimisation fiscale, qui n’est rien d’autre que de l’évasion à grande échelle, est pratiquée par l’ensemble des grands groupes privés français qui transitent vers la Suisse, le Luxembourg, l’Irlande ou vers un paradis fiscal plus exotique une grande partie de leur chiffre d’affaires pour qu’il échappe à l’impôt sur les sociétés – établi à 33,3% des bénéfices, et qu’Emmanuel Macron fera bientôt descendre à 25%. D’ailleurs, les grands groupes et les grandes fortunes particulières peuvent se « régulariser » fiscalement sans aucune sanction financière, pour peu qu’ils paient l’arriéré d’impôts qu’ils doivent au pays, tandis que les petits « fraudeurs » n’ont aucune chance de passer outre les mailles du filet.

Bernard Arnault n’échappe pas à la règle. Son entreprise LVMH, numéro un mondial du luxe, compte 134.000 « collaborateurs » – en fait, des subordonnés dont le travail est entièrement conditionné selon une hiérarchie répondant aux décisions de la famille Arnault – est un modèle en la matière d’évasion fiscale. Début 2013, les grands médias ont – rapidement – évoqué le sujet en admettant, comme Le Monde, que « LVMH esquive une bonne partie de l’impôt sur les sociétés en Belgique ». Mais l’empire tentaculaire de M. Arnault ne s’arrête pas à la multinationale du luxe. Il est également premier actionnaire du groupe Carrefour, géant de la grande distribution, lui-même impliqué dans des affaires d’évasion fiscale selon le sénateur UDI de la Mayenne Jean Arthuis, qui a planché sur le sujet en 2013 encore – sans être franchement soutenus par ses collègues du parti centriste. Le 9 février 2016, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a même effectué des perquisitions au siège de Carrefour France, dans le cadre d’une enquête qui n’a pas, pour le moment, rendu ses résultats publics. Le groupe de grande distribution présentée comme « multilocal, multiformat et omnicanal » compte, quant à lui, 380.000 « collaborateurs » à travers, notamment, ses plus de 11.900 magasins de l’enseigne déployés aux quatre coins de la planète.

1,3 million d’années de SMIC

Bien entendu, la grande bourgeoisie n’admettra jamais l’illégalité de ses activités et niera les accusations en bloc, mais elle est intrinsèquement une classe sociale « hors-la-loi », ou plutôt « au-dessus » des lois. Elle n’en a que faire des enquêtes diligentées par la justice française, car cette dernière n’a pas les moyens de procéder efficacement et d’établir sérieusement les lourdes responsabilités des milliardaires dans l’appauvrissement du pays.

Il n’empêche que nous vivons dans un système économique mondialisé où, selon l’organisation non-gouvernementale (ONG) britannique Oxfam, en 2017, huit individus possèdent autant de richesses que la moitié de l’humanité, soit 3,6 milliards d’hommes et de femmes. De cette classe dominante, Bernard Arnault est un illustre représentant en cristallisant la position de force, les pratiques illégales et l’impunité totale de ce groupe social. M. Arnault détenait, fin juin 2016 lors du dernier classement du magazine Challenges, un capital estimé à 30,33 milliards d’euros. Le 26 juin 2017, il est à la tête d’un patrimoine net professionnel de 48,2 milliards d’euros, soit une différence de 17,87 milliards d’euros.

Divisés sur les 365 jours de l’année, cela équivaut à un gain de 48,959 millions d’euros par jour. Par heure, cette augmentation représente 2.039.954 euros, un patrimoine que 99% des Français n’atteindront jamais dans toutes leurs vies. Nous pouvons « pousser le bouchon » plus loin en établissant que M. Arnault a vu sa fortune fructifier de 33.999 euros lors de chacune des minutes qui se sont succédées depuis un an, soit encore 566,65 euros par seconde. Autrement dit, chaque seconde, Bernard Arnault a vu son patrimoine gonfler d’un montant supérieur au Revenu de solidarité active (RSA) mensuel, dont le montant forfaitaire est passé au 1er avril 2017 – et ce n’est pas une blague – à 536,78 euros, soit un euro et soixante-et-un centimes d’augmentation pour un célibataire sans enfant.

Les inégalités se creusent dramatiquement dans notre pays comme dans le monde, à l’heure où près de dix millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, selon les chiffres officiels. Plus de six millions d’hommes et de femmes sont inscrits à Pôle-Emploi, sans compter tous les privés d’emploi qui ont renoncé, tôt ou tard, à s’actualiser sur la plate-forme, et qui échappent donc aux chiffres officiels du chômage.

La seule différence du patrimoine net professionnel de Bernard Arnault entre 2016 et 2017, de l’ordre de 17,87 milliards d’euros nous l’avons vu, équivaut à plus de 1.295.975 années de Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) net, à temps plein. Le SMIC, c’est justement le salaire de la plupart des « collaborateurs » français de Carrefour, l’enseigne de grande distribution détenue pour partie par M. Arnault, où les hôtesses de caisse et les employés de rayons cravachent dur pour gagner 7,52 euros de l’heure, le taux horaire du SMIC net. Si le propriétaire de LVMH avait travaillé 35 heures par semaine pendant un an pour obtenir ses 17,87 milliards d’euros de gain net, son taux horaire aurait été de 9.818.681 euros net. Autrement dit, entre le Smicard et M. Arnault, il faut multiplier le salaire par 1.305.676 pour atteindre la hausse du capital de l’homme le plus riche de France.

Premier annonceur de France

Les mauvaises langues diront que l’augmentation du patrimoine n’est pas comparable avec un revenu net. Ce n’est, en effet, pas la rémunération stricto sensu de Bernard Arnault qui est décryptée ici, mais bien la hausse de son capital. Il n’empêche que ce patrimoine est traductible en richesses réelles, bien qu’immatérielles à travers les actions financières et la cascade de holdings – fonds de placement -, maisons-mères, filiales et sous-traitants. Cette richesse, officielle (et qui ne compte donc pas l’argent éventuellement placé hors de l’hexagone) correspond à une montagne d’euros ou de dollars, puisque les capitalistes sont par nature apatrides et ne parlent que la langue de la finance. Elle correspond également à une montagne de misère, tant chez les salariés de LVMH ou de Carrefour à travers le monde que chez tous les privés d’emploi qui vivent de trois fois rien parce qu’ils sont exclus d’un système légal qui donne les pleins-pouvoirs à la classe capitaliste.

Hasard du calendrier ou pirouette dont l’hebdomadaire a le secret, Le Canard Enchaîné sorti ce même mercredi 28 juin évoque « les tracas judiciaires rencontrés en Belgique par le milliardaire », une information dont « la quasi-totalité des médias français a fait preuve d’une discrétion de violette pour traiter ». Dans une histoire de fausse domiciliation montée par Bernard Arnault pour échapper au fisc, « le patron du groupe LVMH a dû conclure une transaction pénale » pour envisager l’arrêt des poursuites. Une transaction d’un montant inconnu, dont Les Échos et Le Parisien-Aujourd’hui en France, « propriétés du groupe LVMH », n’ont « soufflé mot » et que les autres grands médias n’ont à peine évoqué. Il faut dire que, comme l’établit le Canard, des « centaines de millions d’euros de publicité [sont] déversés dans la presse chaque année par LVMH », premier annonceur de France. Cette position dominante, qui use judicieusement de son influence pour se mettre les grands médias dans la poche, profite exclusivement à l’homme le plus riche de France qui préfère avancer masqué plutôt que d’étaler au grand jour ses démêlés judiciaires face à son application pour le moins singulière des lois européennes.

Les grands médias préfèrent traiter des faits divers et des anecdotes de l’Histoire plutôt que des contradictions majeures de notre système économique, et c’est tout à leur déshonneur. Les quelques titres dont la rédaction fournit encore un travail rigoureux d’investigation sont, au mieux, contraints à s’adresser à une « niche » de lecteurs ou de spectateurs qui font l’effort d’aller vers l’information plutôt que d’être passif dans le traitement de l’actualité en ne se référant qu’aux chaînes d’info en continu ou aux grands sites internet d’information, lesquels sont également touchés par le chantage à l’annonce organisé par LVMH et Carrefour. Avec une telle machine de propagande bien huilée pour soumettre la diffusion des connaissances aux intérêts de la grande bourgeoisie, le système capitaliste a encore de beaux jours devant lui, malgré les entreprises criminelles qu’il produit jour après jour.


Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an, Bernard Arnault a gagné toutes les soixante minutes plus de 2 millions d’euros par l’augmentation effrénée de son patrimoine. Rien n’est laissé au hasard pour parvenir et maintenir une telle position dominante sur l’économie de notre pays et de notre planète, quitte à corrompre la presse et à faire taire les critiques à son sujet. L’Express nous enjoint à crier « Vive la France » parce que la fortune de M. Arnault atteint des proportions hallucinantes. Ce n’est pourtant qu’un bandit parmi d’autres, qui a fait fructifier sa fortune sur le dos de ses centaines de milliers d’employés, joliment rebaptisés « collaborateurs » pour nier le conflit de classe qui s’exerce entre les travailleurs et la bande d’exploiteurs à la tête du capitalisme. Éminent représentant de la grande bourgeoisie, Bernard Arnault continuera à satisfaire son appétit de profits dans l’intérêt exclusif de sa personne et de sa famille, dans un système vérolé qui n’a rien à envier aux entreprises mafieuses. Ce n’est qu’en éveillant les consciences pour se rendre compte que les détenteurs de grands capitaux sont les pires ennemis du peuple travailleur que nous finirons par ébranler ce système économique et politico-médiatique qui n’a que trop duré. Les grandes fortunes n’ont que faire du sort des milliers de vies qu’elles broient dans leur machine à profits, comme l’a révélé François Ruffin dans le saisissant « Merci Patron ! », mais elles finiront par connaître le prix du sang qu’elles infligent aux travailleurs de France et d’ailleurs. Pour cela, il faut qualifier ces personnes comme ce qu’elles sont réellement, des bandits prêts à tout pour faire croître, à une vitesse hallucinante, leur fortune et par là-même, l’injustice criante d’une époque bientôt révolue.