Nouveau triomphe de Macron ? On va laisser parler une figure respectable.
Gérard Chaliand vient d’être interviewé par comptoir.org. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’avait pas sa langue dans sa poche.
A propos des attentats, des réactions françaises et (donc surtout) médiatiques :
« L’autre jour, je suis passé à la pharmacie et la pharmacienne me disait que les clients défilent, depuis le 13 novembre, pour prendre des calmants. Les gens se demandent ce qui va se passer ; ils ont peur. Les médias nous pourrissent la vie avec leur audimat. Ils rendent service à Daech ; ils font leur propagande : si je relaie six fois un crime de guerre de l’ennemi, je lui rends cinq fois service. C’est la société du spectacle. C’est minable. Mais, non, contrairement à ce que raconte Hollande, nous ne sommes pas en guerre : une guerre, ce serait comme ça tous les jours ; on est dans une situation conflictuelle. » Plus loin, vous rajoutez : « En l’espace de trente ans, les gens se sont ramollis. Ils ont peur. Mes compatriotes, dans l’ensemble, ont peur de tout. »
Après il ajoute les remarques d’usage :
« Il y a eu des statistiques très intéressantes, publiées l’année dernière : 97,5 % des attentats ont eu lieu en dehors des pays occidentaux. En somme, pour nous, c’est un spectacle. Quand on est frappés, on a l’impression que c’est l’apocalypse. Shakespeare avait dit que la prospérité et la paix produisent des couards. Autrement dit, des trouillards. On a vécu une longue période de paix – très bien, j’en suis très content – mais ça ramollit. »
Juvénal écrivait dès sa première satire :
« Aujourd’hui nous souffrons des maux d’une longue paix, plus cruelle que les armes ; la luxure nous a assaillis pour la revanche de l’univers vaincu. Aucun crime ne nous manque, aucun des forfaits qu’engendre la débauche, depuis que la pauvreté romaine a péri ».
Chaliand souligne le danger de la sécurité. Elle crée l’ennui et la mort, l’anesthésie, dit l’historien américain Payne sur l’Espagne où je vis.
« Comme je l’ai dit, c’est le prix de la paix et de la prospérité. C’est aussi le vieillissement de la population qui engendre le conservatisme. L’espèce humaine cherche la sécurité, hélas, à tout prix. Je l’ai fui car c’est le début de la mort. »
Eh oui, comme disait Bernanos, « la vie est un risque à courir, pas un problème à résoudre ». C’est pour cela que plus personne n’a d’enfants en occident, à part une poignée de héros, alors que la population de l’Afghanistan a doublé depuis 1979.
Chaliand enfonce le clou :
« Mais les sociétés européennes sont d’une sensiblerie quasi-maladive : on ne peut plus rien supporter. À la campagne, jadis, égorger un poulet, c’était aussi normal qu’aller faucher le blé. Aujourd’hui, vous dîtes à un type de n’importe quelle université, « On va manger un poulet mais il faut l’égorger ». Il vous répondra « Ah non ! Pas moi ! » Inutile de dire que si vous aimez la tauromachie, on vous soupçonne d’être “facho”. Je le reconnais : j’aime la tauromachie. Et alors ? »
Chaliand fait l’éloge des Vietnamiens et remet les pleurnichards algériens et islamiques à leur place (pourquoi n’y aurait-il que les Français qui en prennent dans la gueule ?) :
« Les Viêts, qui constituent une petite nation de 80 millions d’habitants, sont nationalistes, avec une élite de despotes éclairés. Ils ont battu les Français ; ensuite, ils ont battu les Américains ; ils ont tenu tête aux Chinois. Ils ne font aucun reproche aux Français, contrairement aux Algériens, qui sont en train de pleurnicher. Et ils se sont mis avec les Américains, qui les ont bombardés comme jamais, parce qu’ils ont compris que l’ennemi était au nord : la Chine. Et ils font 7 %, par an, de croissance économique. Je tire mon chapeau. Je dis « Voilà une élite de despotes éclairés, qui savent où ils vont ». À côté de ça, les types de l’État islamique, ce sont des charlots. »
Il résume les Français en une formule :
« L’Allemagne a progressé. Pourquoi ? Parce qu’ils ont fait les réformes indispensables pour relancer la dynamique interne. Nous, on n’a rien fait. Nous, Français, on s’est révélé d’un conservatisme fabuleux. Nous sommes des imposteurs de la révolte. Les gens qui descendent dans la rue, c’est uniquement pour défendre les droits acquis. »
C’est ce que j’ai aussi remarqué dans mon livre sur les antisystèmes. Mais Bakounine nous avait précédés dès 1871 !
Pas de réforme du travail ? Oui, mais le mariage homo !
« La réforme du droit du travail, ils auraient dû la faire en début de mandat, quand François Hollande a fait le mariage dit pour tous. »
Chaliand termine en se marrant :
« On manque de dynamisme. Et on est prétentieux, en plus. Qu’on soit arrogants en 1912, en 1918, voire dans les années 1920, car tout le monde venait chez nous pour peindre, faire l’amour et écrire son bouquin, d’accord. Puis, 1940, ça a été une torchée fabuleuse et je trouve qu’on ne l’a pas bien assumée. Charles de Gaulle nous l’a fait oublier. Mais on s’est effondrés comme des minables. On a tenu une semaine de plus que l’armée belge. C’est un truc qu’il faut rappeler aux Français. Il y a maintenant trente ans qu’on est vraiment en train de descendre. La capitale de l’Europe, aujourd’hui, c’est Berlin. La capitale financière, c’est Londres. On est devenu un splendide musée culturel. »
On l’est déjà, depuis longtemps. Relisez Montesquieu, Gérard :
« Ils avouent de bon cœur que les autres peuples sont plus sages, pourvu qu’on convienne qu’ils sont mieux vêtus ; ils veulent bien s’assujettir aux lois d’une nation rivale, pourvu que les perruquiers français décident en législateurs sur la forme des perruques étrangères. Rien ne leur paraît si beau que de voir le goût de leurs cuisiniers régner du septentrion au midi, et les ordonnances de leurs coiffeuses portées dans toutes les toilettes de l’Europe. »
La suite au prochain attentat qui fera remonter nos sinistres dans les sondages.